J. F. Kirstein et F. G. Gérock : une commande de flambeaux

Fig. 1 : Jacob Friedrich Kirstein et Frédéric-Guillaume Gérock, Flambeau, 1810-1820, 31 x 19 cm, Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg, inv. n°MAD XII.88 (15a). © Musées de Strasbourg.

    L’orfèvrerie est un art qui a souvent été considéré comme mineur. Il désigne le travail des métaux notamment l’or et l’argent afin de créer des objets faisant notamment partie du quotidien. Cet art, très longtemps rapproché de l’artisanat, nécessite la création de dessins préparatoires comme les MAD XII.88 15 a et b conservés au Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg. Réalisés par Jacob Friedrich Kirstein et Frédéric Guillaume Gérock, ces deux dessins présentés en paire ont très certainement dû être destinés à un commanditaire particulier (Fig. 1 et Fig. 2). Nous interrogerons donc ces deux dessins afin de tenter de déterminer de potentielles exigences du commanditaire, ou en tout cas les goûts de ce dernier. Jacob Friedrich Kirstein est un orfèvre strasbourgeois de la lignée des Kirstein, il est actif dans la première partie du XIX^e siècle, il est notamment l’orfèvre des clés de la ville de Strasbourg¹ présentées, entre autres, à Napoléon I^er en 1806. Frédéric Guillaume Gérock est également un orfèvre strasbourgeois du XIX^e siècle lui-même fils d’orfèvre, il est considéré comme le successeur de la dynastie Kirstein quand celle-ci s’éteint.

Fig. 2 : Jacob Friedrich Kirstein et Frédéric-Guillaume Gérock, Flambeau, 1810-1820, 31 x 19 cm, Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg, inv. n°MAD XII.88 (15b). © Musées de Strasbourg.

    Les deux dessins MAD XII.88 15 a et b représentent chacun un flambeau c’est-à-dire un élément de support pour bougies possédant une certaine hauteur. Souvent disposés sur des tables ou d’autres meubles, ils font office d’éclairage, mais également de décoration et possèdent donc quelques éléments de décor. Le flambeau MAD XII.88 15a (Fig. 1) est un flambeau au corps cannelé avec un fût reprenant l’esthétique d’une colonne antique à fût cannelé et d’ordre dorique. Le binet est en forme d’amphore sans anses et il possède une décoration en guirlande de feuilles de laurier. La bobèche est assez épaisse, mais complétement lisse, sans aucun ornement. Sa base circulaire est unie, néanmoins la partie inférieure de la doucine est ornée de cannelures. Quant à lui, le flambeau MAD XII.88 15b (Fig. 2) possède un fût lisse agrémenté en haut du corps d’une guirlande de feuilles de laurier identique à celle présente sur le binet du flambeau précédent. Son binet est plus fin et droit, il se rapproche plus d’un vase que d’une amphore. Il est décoré d’un contour en rinceau de feuilles. La bobèche de ce flambeau est plus fine que celle du précédent, mais aussi entièrement lisse. La jonction entre le fût et le pied à doucine de ce flambeau est striée et, à l’image du MAD XII.88 15a, sa base circulaire est unie et la partie basse de la doucine est ornée de cannelures en forme de pétales. Ces deux flambeaux possèdent de nombreux points communs, à l’image de la couronne en feuilles de laurier. Ils seraient donc issus de la préparation d’une commande et représenteraient alors plusieurs versions d’un même projet afin que le commanditaire puisse choisir les éléments qu’il préfère avant la réalisation finale. En outre, cette paire de dessins est rehaussée d’ombrage en lavis ce qui laisse supposer que les dessins sont complétement achevés et qu’ils ont donc bien pu être montré au commanditaire.

Fig. 3 : Jacob Friedrich Kirstein et Frédéric-Guillaume Gérock, Flambeau, 1810-1820, 31 x 19 cm, Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg, inv. n°MADXII.88 (17). © Musées de Strasbourg.

    Il est, à présent, possible d’élargir la comparaison avec deux autres dessins d’orfèvrerie conservés au Cabinet des Estampes et des Dessins de Strasbourg et faisant parti du même lot : le MAD XII.88 17 (Fig. 3) et le MAD XII.88 23 (Fig. 4). En effet, ces deux autres dessins d’orfèvrerie sont fortement semblables au MAD XII.88 15a. Ils possèdent tous le même fût cannelé et leur binet est également une amphore. On retrouve également sur ces deux autres flambeaux une même couronne de feuilles au niveau du binet bien qu’il ne s’agisse pas à chaque fois de la même variété de végétaux : le MAD XII.88 17 semble être décoré d’une guirlande de feuilles de vigne et non de laurier. Les pieds à doucine de ces flambeaux sont aussi très simples, avec seulement des cannelures dans la partie supérieure de celui du MAD XII.88 23, chose qui diffère totalement du MAD XII.88 15 a. Les dessins MAD XII.88 17 et 23 sont ombragés, tout comme les MAD XII.88 15 a et b, laissant une nouvelle fois supposer qu’ils ont été terminés et montrés au commanditaire. Nous sommes donc en présence de deux dessins qui datent de la même période, réalisés par le même dessinateur, ce qui accrédite l’hypothèse d’une seule et même commande. Les quatre dessins seraient alors destinés au même commanditaire qui n’aurait eu plus qu’à faire un choix entre différents éléments ou différentes propositions. Il est possible d’estimer que le flambeau MAD XII.88 15 b est soit le premier soit le dernier dessin de cet ensemble, étant très fortement différent des autres il pourrait s’agir d’une demande complétement différente de la part du commanditaire souhaitant ou non un style antiquisant pour le flambeau définitif. Mais étant le seul d’un style complétement différent, il est fortement possible qu’il s’agisse plutôt de la première version présentée et que le commanditaire ait alors décidé de se rapprocher d’un style antiquisant, plus en vogue à cette période².

Fig. 4 : Jacob Friedrich Kirstein et Frédéric-Guillaume Gérock, Flambeau, 1810-1820, 26,6 x 18 cm, Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg, inv. n°MADXII.88 (23). © Musées de Strasbourg.

    En effet, nous pouvons également nous questionner sur l’intégration, ou non, de ces deux flambeaux au style Empire. En effet, ces dessins ont été réalisés entre 1810 et 1820 soit la période où ce style fleurit en France. Durant le Premier Empire, on assiste à un retour au goût pour l’Antiquité notamment romaine car l’imaginaire de puissance de Napoléon I^er est fortement marqué par l’Empire romain. Ce retour à une esthétique antique est symbolisé par l’utilisation du motif de la colonne à fût cannelé d’ordre dorique dans le MAD XII.88 15 a. Un autre élément régulièrement employé dans les arts décoratifs de la période du Premier Empire est la couronne de laurier³ ici visible sur les deux flambeaux : sur le binet du MAD XII.88 15 a et sur le fût du MAD XII.88 15 b. À la lumière de ces éléments il est donc possible de penser que le commanditaire derrière ces flambeaux souhaitait très certainement un flambeau s’intégrant dans le style du moment de sa commande. Il est donc possible d’émettre l’hypothèse que le MAD XII.88 15 b est bien le premier jet proposé par les orfèvres et qu’à la suite le commanditaire aurait souhaité l’ajout du fût cannelé menant au MAD XII.88 15 a, mais également aux MAD XII.88 17 et 23.

     En somme, les flambeaux MAD XII.88 15 a et b font très certainement partie d’un ensemble plus large de dessins d’orfèvrerie proposés à un commanditaire particulier, sûrement riche et puissant car il a la possibilité de faire appel à un orfèvre reconnu et de lui demander plusieurs versions avant de faire son choix. Grâce aux points communs entre les différents dessins d’orfèvrerie de cet ensemble, il est plausible que le commanditaire souhaitait certainement inscrire sa commande dans le style majoritaire⁴ de la période à savoir le style Empire.

1. Musée historique de la ville de Strasbourg, inv. n°MAD 5553 a-b. [↩]
2. Bertrand Tillier, L’art du XIX^e siècle, Éditions Faton, 2016, p. 360. [↩]
3. Pierre Francastel, Le Style Empire : du Directoire à la Restauration, Paris, Libraire Larousse, 1940, p. 53. [↩]
4. Bertrand Tillier, L’art du XIX^e…, op. cit., p. 361-362. [↩]