Le dessin d’un flambeau orfévré : iconographie néo-classique et motifs zoomorphes

Fig. 1 : Frédéric Guillaume Gerock, Dessin d’orfèvrerie d’un flambeau, vers 1810-1820, 18 x 10,4 cm, Cabinet des Estampes et des Dessins, Strasbourg, inv. MADXII.88 (14). © Musées de Strasbourg 

    Émanant du fond iconographique de l’ancien musée d’Art décoratif de la ville de Strasbourg, conservé aujourd’hui au Cabinet des Estampes et des Dessins, notre objet d’étude est un dessin d’orfèvrerie. L’artiste réalise le dessin sur du papier vergé, à la plume, à l’encre et au lavis d’encre. Il représente un flambeau (Fig. 1) à deux bras sur piédouche. Le corps est décoré de deux têtes de bouc liées par une guirlande de feuilles de laurier. Le tampon du musée est déposé à l’arrière du dessin, celui du Hohenlohe Museum. La signature de l’artiste est présente à l’arrière de la feuille, mais également sous la représentation du piédouche, désignant « Gerock », faisant allusion au nom de la famille de l’artiste. Dans la réserve du Cabinet des Estampes et des Dessins, le flambeau se présente sur une planche d’exposition, entouré de deux autres flambeaux. L’iconographie choisie est-elle davantage issue de l’artiste, ou de son commanditaire ?

     Frédéric Guillaume Gerock, né à Strasbourg, grandit aux côtés de son père Jean-David Gerock, orfèvre¹. Il reprend l’atelier vers 1840, mais décède trois ans plus tard. Les Gerock sont certainement la famille qui a succédé à la famille des Kirstein², dernière grande dynastie d’orfèvre strasbourgeois. Jacob Friedrich Kirstein, autre nom cité dans le dossier à la base de notre recherche, apprend beaucoup d’une autre famille influente à Strasbourg au même moment, les Imlin. La signature sur le dessin d’orfèvrerie qui nous intéresse est possiblement posthume à l’élaboration de ce dernier. Probablement entre 1810 et 1820, l’artiste qui réalise le dessin sous le nom de Gerock, nous propose une œuvre très détaillée. En effet, le flambeau repose sur un piédouche³ qui comprend, en premier lieu, une base circulaire unie. De cette dernière, le piédouche se développe de la même manière, puis, une large bague sépare la base du flambeau de sa tige. Cet élément est orné d’un décor en frise faisant éventuellement référence à des gouttes d’eau, elles-même cernées par d’autres gouttes plus larges. Sans doute que l’artiste cherche à ce moment à reproduire une technique d’orfèvrerie, illustrer une matière, ou montrer l’impact de la lumière à cet endroit de l’objet. Il pourrait s’agir d’une évocation à la technique de la ciselure spécialité des Kirstein, ou de glyphe très présent dans l’antiquité sur les chapiteaux de colonnes.

     La tige du flambeau ressemble étrangement à un vase, plus précisément à une amphore. Avant cet élément inspiré de l’antiquité, un cône plat et uni sert de base et resserre la largeur imposée par le piédouche. Le flambeau se développe à la verticale. En reprenant le vocabulaire d’une amphore, on peut identifier le pied du vase. Il comprend un décor qui s’apparente soit à des glyphes, soit, simplement à des moulures⁴. Une petite bague, simple, fine et uni vient ceinturer le pied avec la panse de l’amphore. La partie basse de la panse présente un décor végétal : la plante utilisée peut-être identifiée comme des palmettes présentées en éventail. Elles sont allongées et l’artiste précise son dessin par le détail des nervures de la plante. On distingue deux rangées de feuilles qui sont représentées les unes sur les autres laissant apercevoir uniquement la pointe de la rangée du fond. Le reste de la panse est dépourvu de décor. Les anses du vase sont remplacées par des têtes d’animaux, il s’agirait peut-être de boucs. Bien que cette représentation soit possible, il pourrait aussi s’agir de béliers, souvent sculpté aux angles des autels, ou encore de trépieds. La représentation du bouc fait généralement référence aux démons, au mal, voir au diable : ses cornes sont bien souvent associées aux satyres⁵. D’autre part, le décor animalier utilisé par l’artiste incarne ici en particulier, le gibier. Le choix de l’animal pourrait être être en lien avec les activités de chasses des Kirstein. 

Fig. 2 : Massacre de cerf, vers 1886, musée Condé, Chantilly, inv. OA 742. © Réunion des musées nationaux-Grand Palais (domaine de Chantilly).

    Les deux têtes sont reliées entre elles par une guirlande en feuille de laurier et par une frise de rinceaux. La guirlande de laurier forme un arc de cercle renversé entre les deux animaux et tombe droit sous leur tête. Le laurier reflète la victoire et la distinction, il est aussi utilisé par César, dans l’antiquité romaine⁶. Il pourrait s’agir d’un symbole pour glorifier la famille des Kirstein et mettre à l’honneur leur production. La frise de rinceaux se distingue par plusieurs tiges ondulées, serpentines avec des feuilles naturelles. Le traitement du dessin est différent à cet endroit. Le matériau devait à cet endroit, dans l’imaginaire de l’artiste, être plus lisse, ou davantage polie afin de refléter la lumière. Ainsi, la feuille de papier émet un reflet, une sorte d’effet miroir. Les rinceaux avaient sûrement pour projet d’être gravé en formant des volutes de part et d’autre. La tige du flambeau, qui s’apparente à l’embouchure du vase, se termine par une frise dotée de perles. Le motif est souvent en relief pour effectuer un jeu d’ombre et de lumière et montre une grande précision. Au-dessus de cette frise, on retrouve une fine bague qui sépare la tige du flambeau à sa dernier partie. Les deux bras du flambeau s’élargissent aux deux extrémités. La largeur occupée par les bras est identique au diamètre du piédouche, ils sont ainsi sont symétriques. Au départ de la bague, deux boutons de feuille d’acanthe sont positionnés et accueillent le développement de plus grandes feuilles. Entre elles, un élément évoque un massacre de cerf (Fig. 2). Les cornes sont fines au creux de la végétation, puis s’élargissent afin de pouvoir supporter le binet et la bobèche. On peut qualifier ici la feuille d’acanthe comme molle, car ses feuilles sont larges et lisses. Cependant, on peut y voir un nouveau lien avec l’antiquité, puisque son usage se retrouve dans un des ordres majeurs de l’architecture antique : l’ordre corinthien. En outre, l’effet des cornes de cerf se manifeste avec l’utilisation de la cannelure. Les canaux sont longs et répétés, tel que pour figurer le mouvement d’assomption. Afin d’évoquer la nature, l’artiste les illustre du plus fin au plus large. L’effet ombré dans la cannelure indique certainement un creux et par conséquent, l’usage d’une technique d’orfèvrerie tel que la gravure. Enfin, la forme du flambeau évoque certainement un trophée de chasse. Avec cette nouvelle référence à l’animal, au cerf en particulier, noble et souvent chassé, pouvons-nous dire que la pièce d’orfèvrerie est zoomorphe ? Le binet repose sur un plateau qui termine le bras du flambeau, et peut faire penser à une terrasse. De prime abord, on distingue tous les éléments d’une colonne : on retrouve un petit fût où les cannelures sont représentées en glyphe, puis une bague sobre et lisse accueille un astragale et un boudin plus large avec des cannelures ondulé qui soutient la bobèche, support pour la bougie. Un dernier élément se niche entre les deux bras du flambeau : il peut être considéré comme un troisième bras, mais de style différent, sans binet ni bobèche. Il pourrait aussi s’agir du prolongement de la tige. Cela étant, il se déploie à la verticale à partir d’une fine tige s’élargissant sur le haut, dépourvue de décors et lisse. Une bague sépare cette partie de ce qui ressemble à un pot, ou peut-être un encensoir. Celui-ci reprend le décor en palmette du bas de la panse. Une nouvelle bague ressert l’élément d’orfèvrerie qui grandit à la verticale par une tige plus large que celle de la base. Un pot renversé orné fait référence au décor de la bague du piédouche. L’ensemble est couronné par un gland qui pointe vers le haut. La hauteur de cet élément d’orfèvrerie reprend la grandeur des feuilles d’acanthes des bras du flambeau.

     En somme, nous avons essayé de savoir si l’iconographie du flambeau était le reflet de l’artiste ou du commanditaire. Bien que le lien entre la chasse et les Kirstein et, par la succession, les Gerock est fort probable, cela n’explique pas l’intérêt pour l’antiquité. Le style néo-classique du flambeau peut être issu des études de l’artiste, de son intérêt pour l’antiquité, mais aussi pour prouver son talent face à la précédente grande famille d’orfèvres. Plusieurs questions restent en suspens comme celle du décor du flambeau : a-t-il un lien avec sa fonction ou, est-ce simplement une pièce de table ?

1. Emmanuel Fritsch, « Frédéric Guillaume Gérock », dans Nouveau Dictionnaire de Biographies Alsaciennes, n°48, Strasbourg, Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 2007, p. 5094. [↩]
2. Jean-Daniel Ludmann, « Famille Kirstein », dans Nouveau Dictionnaire de Biographies Alsaciennes, n°21, Strasbourg, Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 1993, p. 1972-1974. [↩]
3. Étienne Martin, Deux siècles d’orfèvrerie à Strasbourg : XVIII^e-XIX^e siècles dans les collections du musée des Arts décoratifs, (cat. exp., Strasbourg, musée des Arts décoratifs, novembre 2004), Strasbourg, Éditions des Musées de Strasbourg, 2004, pages annexes en fin d’ouvrage [↩]
4. Laurence de Finance et Pascal Liévaux, Ornement : vocabulaire typologique et technique, Paris, Éditions du Patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2014, p. 313 et 298. [↩]
5. Lucia Impelluso, La nature et ses symboles, Paris, Hazan, 2004, p. 364 [↩]
6. Ibidem, p. 38-42. [↩]